Repères biographiques

Naissance à Grenoble le 15 juin de Maurice-Marie Léonce Savin. Il signera plus tard ses peintures des seules initiales de ses trois prénoms M.M.L. Fils du lieutenant-colonel Savin-Honoré et de madame Marie-Louise Forgues. Il est le benjamin d’une famille de trois enfants ; son frère et sa sœur avaient respectivement quelque quinze et dix ans de plus que lui.

Après la mort de son père, sa mère vient s’installer à La Flèche dans la Sarthe, afin de permettre à son fils de suivre des études secondaires au Prytanée militaire. C’est alors un tout jeune garçon de santé fragile et d’une extrême intelligence. Il fera de très brillantes études, excepté en dessin! « On nous montrait quelques vagues grisailles sur un livre d’histoire, au mieux des cartes postales » note-t il dans son journal.

Élève d’Alain pendant trois ans en rhétorique supérieure (khâgne) au lycée Henri-IV à Paris, il devient peu à peu le familier du philosophe, puis son disciple d’élection. Il prépare alors sur ses conseils l’agrégation de philosophie à laquelle il est reçu en 1929, en même temps que J. P. Sartre et S. Weil. Il loge pendant toute cette période à la Cité universitaire à Paris.
C’est de cette époque parisienne que date sa découverte de la peinture.

 
 

 

 

Le jeune professeur accomplit pendant cette période son « purgatoire » provincial. De Rochefort à Nevers, puis de Reims à Rennes, pour revenir enfin à Paris. Son premier poste sera le lycée Condorcet qu’il conservera jusqu’à la fin de la guerre.
C’est pendant cette période vagabonde qu’il se met à fréquenter plus intimement Alain, en particulier pendant les vacances scolaires qu’il passe à partir de 1933 auprès de lui et de sa compagne, madame Monique More-Lamblin au Pouldu en Bretagne, à une époque où la gloire de la « bande à Gauguin » et de l’école de Pont Aven n’était pas encore universellement établie. C’est à cette époque, marquée par ses premières oeuvres littéraires, (Monsieur Ric, L’Âne Rouge) que commence son initiation à la pratique de la peinture.

Maurice M.L. Savin s’installe enfin chez lui à Montparnasse, dans un atelier de peintre au 6 de la rue A. Bourdelle dans le 15éme. Sa mère est décédée l’année précédente, en 1938. I1 mène une vie très bohème, entouré de jeunes amis, dont beaucoup sont peintres (Olivier Fougerat, Pierre Le Mare …) La guerre et l’Occupation facilitent paradoxalement une intense activité artistique: concerts, expositions, théâtre, dont il commence à faire systématiquement des comptes rendus dans son journal. Il consacre de plus en plus de temps au dessin et à la peinture en s’obligeant à une étude systématique de la composition et de la couleur dont la série des Gouaches au bateau donne un très bon exemple.

En 1941, Madame More‑Lamblin meurt, laissant à Maurice sa petite maison du « Puits Fleuri » au Pouldu. Après la guerre M.M.L. vient y passer la plupart de ses vacances. I1 découvre alors l’importance du mouvement Nabi et le charme incomparable de la Bretagne « terre des peintres ».

Après la guerre il est nommé professeur de khâgne au lycée Fénelon puis au lycée Louis‑le Grand. I1 exerce parallèlement au collège Sévigné et au lycée Henri IV. C’est l’époque décisive de sa vie sur le plan artistique. Outre la philosophie qu’il développe avec un éclat poétique singulier devant ses élèves, il collabore à diverses revues: Les Temps modernes, Le Mercure de France, La Table ronde. C’est essentiellement à la critique dramatique qu’il consacre la plupart de ses articles. Cet ensemble d’écrits sur l’art théâtral ( des auteurs les plus anciens aux plus contemporains ) il souhaitait les réunir et leur donner le nom de Pour une dramaturgie, voulant ainsi donner à entendre que ce qu’on écrit sur le théâtre n’a d’intérêt que si cela aide ceux qui lisent à savoir jouer le texte, à savoir le dire… Nous nous sommes efforcés de donner forme à ce projet.

            On n’oubliera pas de mentionner enfin d’autres écrits plus tardifs, de nature philosophique, que nous avons jugé utile de réunir sous le titre : Poésie et philosophie,  où l’on trouve outre une suite d’articles sur Alain, une belle étude sur les Présocratiques, ainsi qu’une réflexion très singulière sur Kierkegaard.

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En 1951, quand meurt son maître Alain, il fait paraître aux Éditions du Mercure de France un très bel et très émouvant hommage: En Bretagne avec Alain. Son style est dès cette date indéniablement formé. Il en va de même en peinture, mais c’est là un art refuge qu’il tient beaucoup plus secret. Il faut signaler qu’il aura attendu la mort de son maître Alain pour se décider à publier son grand roman: Le Verseau, paru aux Éditions Gallimard en 1955 et aussitôt traduit en allemand chez R.V.A. sous le titre d Antoinette Lherbot (d’autres suivront: Les Voyous, Saint‑Rien, La Folie).

Dès ces années l’activité picturale de Maurice M.L. Savin, qui signe désormais ses toiles M.M.L., s’intensifie. Elle se fixe particulièrement sur l’étude du pastel. C’est à partir des années 60 qu’elle concurrence l’activité littéraire qui se prolonge par des contes (Le Prince trop beau, Qui dit vrai) et des pièces de théâtre (Angélique, La Guitare de Rachel).

Il fait de nombreux voyages en Italie.

En 1960, il expose quelques‑unes de ses toiles dans la galerie de l’Araignée au Pouldu. Il inaugure la chapelle du Pouldu dédiée aux peintres de Pont Aven et leur consacre à cette occasion une étude: Filiger, Sérusier, Jourdan, Meyer de Hann…

En 1963, il prend sa retraite de professeur de khâgne au lycée Louis le‑Grand. Sa santé et son humeur l’amènent dès lors à délaisser l’écriture au profit de la peinture.

Il partage désormais son temps entre Paris et la Bretagne où, dans son petit atelier du « Puits Fleuri », au Pouldu, s’ouvre une période de création particulièrement heureuse et intense. Sa recherche porte par prédilection sur le paysage et la mythologie religieuse. L’écriture se réduit peu à peu à la tenue d’un journal, complété par une correspondance avec ses amis les plus chers. Sa peinture glisse insensiblement vers un style de plus en plus contemplatif.

En 1973, il quitte son cher Pouldu, gâté par le tourisme, pour venir s’installer à Bellême dans le Perche, près de Mortagne, ville natale d’Alain.

Jusqu’en 1978, l’année de sa mort, il poursuit son aventure picturale, cette « longue histoire d’amour » qu’il disait ne devoir finir qu’avec lui.

Ceux qui s’étonneraient maintenant de constater la notoriété discrète et tardive de cet homme si éminemment artiste voudront bien méditer cet extrait de son Journal :

 

« J’ai pris de grade ce que j’ai pu, fixant la mesure où je ne pourrais plus, et somme toute j’ai vécu heureux par ma tactique de fuir à peu près tout. »

 

       Comparant la peinture classique italienne à notre peinture moderne, M M L. écrivait en mars 1954 dans un article sur les peintres vénitiens: « Montez d’un ton de vert tous ces verts et variez le vert, variez les roses, les rouges, usez plus librement, plus franchement de l’épaisseur de la couleur. Ne perdez cette finesse de sentir si vous pouvez et la combinez à plus de système, faites voir que vous osez voir ce qu’on ne voit qu’à peine, ce qu’on ne voit jamais, et de cette pâte de Tintoret vous passez à la plus moderne. »

 

       D’entrée, cette méditation de Maurice M. L. Savin ; car il est important de savoir qu’il y avait pour lui passage et non rupture entre l’art le plus classique et le métier le plus moderne. Ce qui caractérisait simplement à ses yeux l’art moderne, c’était son souci de laisser voir le métier. Aussi bien sa peinture à lui s’inscrit‑elle naturellement dans ce courant: on notera entre autres signes l’usage bien visible des cernés, des aplats, un parti pris d’exaltation ordonnée des couleurs joint à une ondulation très systématique des surfaces. En un mot, M.M.L. n’hésite pas à  traiter le tableau comme un tout organisé pour le regard.

 

       Il était pourtant trop lucide ou trop honnête pour ne pas reconnaître que des classiques aux modernes une simplification s’était produite, proche d’une certaine décadence. A l’inverse de ses contemporains, M.M.L. avait la nostalgie de la maîtrise classique du métier de peintre. Et pour cause: M.M.L. n’a jamais été à l’école de la peinture; il n’avait donc ni les raisons ni les moyens de dépasser 0 dissimuler ce savoir faire académique, comme ce fut le cas pour la plupart des grands artistes de la peinture moderne.

 

       Grand amateur et très fidèle visiteur du Louvre et autres célèbres musées dès l’âge de ses 20 ans, M.M.L. ne reçut ses premières leçons de peinture qu’auprès de son maître Alain, qui lui même ignorait tout ou presque du très classique métier. on saura peut être quelque jour que, pochade après pochade, Alain était vers de sa vie parvenu à comprendre certaines lois fondamentales de l’écriture picturale : voir et peindre en peintre, c’est, entre autres choses, savoir donner à la couleur fonction propre. Ainsi, elle cesse de s’ajouter au dessin comme de l’extérieur ; par un geste de la touche, elle crée d’elle même son propre dessin et dispose son propre espace.

 

       On peut deviner que le jeune Savin, qui n’était pas encore M.M.L., dût profiter à pleins regards de ces muettes et modestes leçons vécues auprès d’Alain, le plus souvent en Bretagne, au Pouldu, entre 1933 et 1938.

 

       Ce qu’aurait produit sur l’évolution de l’art d’M.M.L. une plus grande maîtrise métier et une initiation plus précoce, il est bien difficile de l’imaginer. Mais sa dernière période (approximativement de 1967 à 1978) peut laisser penser qu’il serait allé vers encore plus d’équilibre, de retenue, de nuance et de discrétion. Ses dernières productions, plus contemplatives, moins expressives, en témoignent : le format se miniaturise; la touche se fait de moins en moins visible pour elle‑même; enfin, la recherche d’harmonies plus sourdes et plus secrètes, sans rien dire des compositions où vont apparaître de plus en plus souvent les horizontales tout conspire à faire aboutir cet art‑là à plus de classicisme, c’est‑à dire plus de sacrifices.

 

       Au reste, le dessin de son écriture avait déjà pris, quelques années plus tôt, le parti du minuscule. La grande écriture haute et fière des années folles avait fait place à cette chose serrée, enlacée sur soi, à peine visible aux yeux de ceux qui ne s’obstinent pas. Lui s’amusait à invoquer l’avarice pour expliquer cette évolution parallèle de son écriture et de sa peinture. Mais à y regarder d’un peu plus près, le petit format l’attire parce qu’il l’oblige à plus de resserrement, tant sur le plan de l’harmonie des couleurs que sur celui de la stricte composition. En choisissant le petit format, M.M.L. sacrifie donc bien à un principe d’économie, mais à un principe d’économie supérieure: donner à voir et à rêver le plus possible dans le minimum d’espace, avec un minimum de moyens. Des cartons souvent découpés dans les boîtes qu’offre le commerce avaient fin par obtenir toutes ses faveurs. Il aimait ce matériau pour son pouvoir d’absorption; avec le carton, il obtenait des effets de transparence et de lumière plus mats et plus discrets qu’avec la toile: « Un éclat sans éclat, une lumière comme enfermée dans l’éclat » (Journal). La brillance de l’huile s’effaçait et cela comblait son désir de nuance et de discrétion. « Si la peinture n’est pas finesse, retenue, pudeur plus que nuance, ce n’est pas la peinture » (Journal).

 

       Comme pour illustrer cette maxime: « De la pudeur avant toute chose », à partir des années 50 qui marquent le début de sa grande activité artistique, ses œuvres furent toujours travaillées en atelier, dans la solitude, en la seule compagnie de Schubert, Beethoven, Mozart, Brahms, Franck et quelques autres, presque invariablement les mêmes. M.M.L. ne peignait pas sur le motif: il se méfiait, non par défaut mais par excès, de sa formidable puissance lyrique. En revanche, il n’était promenade, petite ou grande, qui ne fût pour lui l’occasion de remplir inlassablement ses célèbres petits carnets de croquis. Dans l’atelier, il s’aidait alors de ses esquisses, pour les « monter », comme il aimait à dire. Quand aucun croquis ne faisait l’affaire, M.M.L. n’hésitait pas alors à puiser son inspiration dans des pochades antérieures, dans des illustrations ou encore des reproductions ‑ le plus souvent empruntées à l’iconographie de l’art breton ou des primitifs italiens.

 

Les figures d’inspiration mythologique ou religieuse le fascinaient littéralement. On comprend moins d’ordinaire cette dimension de sa peinture. Elle ne fait qu’un pourtant avec l’ensemble de son œuvre et témoigne de son souci de l’illustration comme de son sens de la décoration. Pour lui, si la peinture est bien essentiellement une « surface plane recouverte de couleurs en un certain ordre assemblées », elle ne peut cependant pas, au risque de se perdre dans l’abstraction et le formalisme, tourner complètement le dos à sa vocation historique et classique qu’un Chagall par exemple n’a jamais perdue de vue.

 

       Ces quelques remarques permettront peut‑être d’éclairer le soin très méticuleux qu’M.M.L. apportait à donner des titres singuliers à ses peintures: que ce soient Fleurs, Paysages ou Figures, presque toujours un nom dessus, et le plus souvent un indication de lieu et de date. Une manière de rappeler discrètement le monde et d rendre hommage à cette source inépuisable d’inspiration. Une manière aussi de ne pas abandonner la peinture à elle‑même et d’inscrire son origine et sa réalité dans un ensemble où figurent, dans un tout inextricablement lié, la Nature et l’acte du peintre.

 

            C‘est alors ce rocher qu’on appelle de Saint Mathieu sur une plage près du Pouldu; c’est cette portion de plage près de la falaise appelée La Grenouillére; c’est ce chemin creux, dit des loups, près de la ferme de Kernevenas; c’est encore La maison de madame T. ou de madame M. ou celle du Peintre Filiger, ou ce Matin de brume en hiver au Pouldu, ou ce Souvenir d’un soir d’été, près de Gènes. Et puis ce n’est pas n’importe quel bouquet, mais celui‑là qui fut cueilli dans le jardin ou dans la foret qui déjà se fane ou qui vient d’éclore; et puis ce sont ces Lilas ou ces Reines Marguerites, ces Roses ou ces Clématites du jardin ou du marché. Mais c’est aussi bien La Prédelle de Saint Martin, Le Sacrifice d’Abraham, Saint Jérôme et le Lion, et Les Tables de la Loi illustrant L’Ancien et le Nouveau Testament.

 

            Bien que tout entière acquise à la libération de l’expression picturale et au pur bonheur de faire chanter couleurs et formes, cette peinture reste paradoxalement empreinte de la nostalgie du grand métier classique. D’où sans doute cette étrange impression de mélancolie qui s’en dégage. On devine qu’M.M.L. éprouve une certaine tristesse à ne pas pouvoir ou à ne pas vouloir s’effacer davantage devant le monde, et à trop marquer ses œuvres de son nom, fut‑il réduit aux initiales de ses trois prénoms.

            En un mot, si sa peinture participe évidemment du modernisme, elle n’en est pas fière pour autant. Peut‑être est‑ce là ce qui contribue à lui donner un charme tout particulier et une indéniable originalité.

 

            Le professeur de philosophie Maurice Savin aimait à dire, quand on l’interrogeait, qu’il peignait et écrivait pour son plaisir. I1 ne faudrait pas trop se méprendre sur cet aveu.

 

            Pour ce poète à l’âme si tendre et si subtile, l’art ne pouvait être qu’à l’opposé d’un délassement, d’un pur et simple divertissement. Pour lui, l’art était incontestablement l’un des chemins et non le moins sûr pour accéder à soi même, au monde et à Dieu. D’où cet autre paradoxe de sa peinture et non le moindre: on est séduit et comme transporté d’abord par l’inflexion lyrique du dessin et la puissance intérieure des couleurs, par l’emportement d’une inspiration où domine à première vue le simple bonheur de donner à voir harmonies douces et couleurs chaudes.

            Et puis voilà qu’on se surprend, le premier charme passé, à découvrir derrière cette exaltation autre chose. Notre premier bonheur s’approfondit et se complique: un parti pris de construction et d’ordre s’impose à notre regard. Ce que l’on aurait pris pour une audacieuse improvisation, un désir frivole de chanter le bonheur de peindre, se transforme en quelque chose d’étrange, de furieusement volontaire. De l’illusion et de l’émerveillement où nous étions plongés, de cette reposante et tranquille sérénité nous voilà soustraits, sans trop comprendre alors quel « secret » se cache derrière ces œuvres d’apparence si facile, et si tendres.

 

             Allez voir par exemple ces lilas mauves, ce chemin creux, ou encore ce coin de landes ou ce bout de plage surmonté d’une maison d’où les rochers descendent. Ce n’étaient d’abord que Lilas, Chemin, Landes ou Plage: le bleu de la mer comme doit être un bleu de mer, le mauve des lilas comme sont mauves les lilas… On était heureux de rêver à la mer, aux lilas et d’entendre, derrière, le chant du poète: « La peinture ? Une tapisserie qui ne veut tromper personne, qui dit que tout est couleur et que tout est fleur, tout n’est que toile, songe et couleur » (Journal).

 

            Et voilà que le chant du poète se fait tout à coup plus discret. Ce n’est plus vision de peintre mais Vision tout court. Le bleu de la mer ou le vert du pré qui borde le chemin, ou encore le mauve du lilas, ne sont plus que du bleu, du vert et du mauve, taches colorées parmi d’autres, placées là à seule fin de satisfaire l’exigence d’une harmonie générale. Un monde alors nous apparaît, où tous les éléments viennent se confondre dans un ensemble et perdre leur illusoire individualité.

 

            De toute évidence, le plaisir de peindre se complique chez M.M.L. d’un souci plus fondamental. S’il reconnaît que le goût de l’illusion et de l’émerveillement fait partie de la peinture, il note aussi que la « peinture est une mise à distance de tout pour saisir tout » (Journal).

 

            À bien y regarder, toutes ses peintures témoignent de ce souci: s’il cherche à « s’exprimer », comme l’on dit, s’il entend nous faire part de ses émotions et impressions, il veut aussi que ce bonheur de l’émerveillement contribue à nous introduire dans une exigence de savoir au delà du simple savoir.

            Par ce soin très marqué de l’ordonnance, de la composition, du rythme et des cadences, l’art d’M.M.L. rompt de toute évidence avec le « subjectivisme ». Aussi dépasse t‑il les charmantes solutions d’un impressionnisme tardif qui tend à dissoudre le moi et le monde dans une analyse qui malheureusement ne constitue pas un ordre, même si picturalement parlant elle demeure une source inépuisable d’enchantement.

            A l’inverse, il y a chez M.M.L. la présence d’un monde, la conviction d’une certaine permanence qu’il appartient précisément à chacun de découvrir.

 

            Ce mélange de réalisme et de rêverie, d’expression et d’harmonie, dans l’œuvre de M.M.L. révèle en définitive sa vision fondamentalement contemplative de l’existence humaine où l’exaltation du moi tout‑puissant est tempérée par un sentiment de prudence, on dirait presque d’humilité. Sa peinture est à l’opposé d’un cri d’orgueil ou de désespoir. Elle ne supprime ni la pesanteur du monde, ni l’efficacité du sujet, mais tente plutôt par un patient travail de nous suggérer leurs inextricables relations.

 

            Un monde existe, terriblement présent, dont on ne peut savoir ce qu’il est qu’en l’interrogeant. Toujours restera une zone d’ombre et d’opacité. Jamais ne sera complètement éclairci le mystère de la vie; mais cette résistance du monde devant la curiosité, c’est aussi la chance de l’artiste, son drame prestigieux et la condition de sa fonction active.

 

            À l’opposé donc de tout messianisme, M.M.L. ne cherche pas à nous chanter la détresse ou la majesté du monde, à prophétiser ou à prêcher. I1 nous invite au recueillement, presque à la prière: mais ce recueillement, cette exigence d’intériorité et de purification, ne s’accomplit pas chez lui par une réduction du délire, de la passion ou de l’emportement lyrique. Au contraire, c’est dans sa folie même qu’il cherche à éprouver son pouvoir de lucidité, sa clairvoyance. Son art se situe par delà le bien et mal. I1 ne nous culpabilise ni ne nous sanctifie.

 

            Si l’art abstrait, rejoignant en cela l’académisme de son époque, contrariait à ses yeux la profonde vocation de l’art, c’est qu’il ne parvenait à donner forme au sensible que sur fond d’absence de vie et de passion. Aussi une telle forme lui apparaissait elle vide, privée de sens, pour n’avoir pas été conquise sur un mouvement de malheur et d’extrême tumulte.

 

            Voilà pourquoi nous trouvons toujours chez M.M.L. ce contraste troublant entre une force qui ne renonce pas à se montrer et une volonté d’informer, qui ne s’ajoute pas de l’extérieur mais tente au contraire de s’épanouir et de s’expliquer de l’intérieur. Et c’est bien cela qu’M.M.L. cherchait en fin de compte dans la peinture: éprouver en les sollicitant ces divins moments de grâce où par ruses et secrets mêlés parviennent enfin à s’accorder, dans une unité toujours équivoque et fragile, le sensible et l’intelligible, la nature et l’esprit. Une communion alors apparaissait possible, une rédemption s’accomplissait d’elle‑même par delà le simple et toujours trop pauvre projet.

 

            Devant sa peinture achevée M.M.L. éprouvait une étrange satisfaction: épuisé mais content, son visage s’illuminait alors de je ne sais quelle impression de reconnaissance. A l’évidence, ce n’était pas tant de lui qu’il était fier, mais davantage de ce monde qui lui avait permis de confirmer, le temps d’un tableau, la « présence obscure de son âme ».

 

            Plus poétique que la poésie, la peinture perce mieux le mystère de l’incarnation par cette intensité de réflexion qu’elle contribue à suggérer sans le dire. M.M.L. peintre a bien des fois réfléchi à cette concurrence que l’art de la couleur et de la lumière livre au plus pur des discours: « La peinture fait concurrence aux mots, non par la violence mais par la nuance »; et encore cette confidence: « On ne sait que dire devant la peinture puisque ce qu’il faut dire, qu’on ne peut dire, la peinture le dit ».

 

            Lui qui était né poète comme d’autres naissent ingénieurs ou prophètes, ce conteur à la plume déjà si subtile et si précieuse, que pouvait il donc attendre de cet autre langage qui n’est plus du reste exactement un langage ~ Peut être le vague désir de coïncider davantage avec la Nature et Dieu; sans doute l’espérance de sentir et d’expérimenter au plus près la vocation spirituelle de sa nature sensible.

            M.M.L. confie dans son journal que quelque chose en lui s’était rompu quand il avait rompu avec la religion très fervente de sa jeunesse. Cette blessure ou cette rupture, il n’est peut être pas interdit de penser qu’il ait cherché à travers la peinture à l’adoucir, comme pour tenter de renouer avec cette grâce de sentir comme on pense, qui n’appartient qu’à l’enfance.

Michel Pierre Bachelelet

 
 

 

 

Maurice M.L. Savin est né à Grenoble le 15 juin 1905.

Fils spirituel d’Alain. C’est à lui que fut confié de composer le traditionnel Hommage réservé aux grands écrivains de la N.R.F après leur mort. En septembre 1952 pa-raissait donc ce recueil. On y trouve entre autres signatures celles de Pierre Bost, de Samuel de Sacy, de Daniel Halévy, de Claude Mauriac, de Jeanne et Michel Alexandre, d’André Maurois, de Simone Pétrement, de Raymond Aron, d’Henri Mondor, d’Henry de Waroquier, et, aussi bien sûr, celle de Savin. C’est dans ce contexte que Maurice Sa-vin écrivit un long article intitulé En Bretagne avec Alain, qui devait prendre, quelques années plus tard, la forme d’un petit livre édité somptueusement en 1962 par le Mercure de France, alors dirigé par S. de Sacy.
Cette parution fut sans doute celle qui donna le plus de joie à Savin. À sa mort, en Septembre 1978, certains de ses amis et de ses anciens élèves savaient qu’il laissait derrière lui une oeuvre considérable ( romans, contes, essais, pièces de théâtre) à éditer ou rééditer.
Pendant près de 20 ans professeur de Khâgne au lycée Louis-le Grand à Paris, Savin est connu d’un petit cénacle littéraire et philosophique parisien. Régis Debray, par exemple, mentionne son nom dans son ouvrage Le Pouvoir intellectuel en France, le désignant comme le dernier représentant de cette lignée de philosophes humanistes et spiritualistes, issue de Jules Lagneau. Lagneau dont on sait qu’Alain se voulu le fidèle disciple.
Parmi tous ceux, intimes et moins intimes qui ont rencontré Savin, certains estiment qu’M.M.L (telle fut sa signature de peintre, faites des initiales de ses trois prénoms Maurice Marie-Léonce) a produit une œuvre picturale aussi imposante que son œuvre littéraire. La question reste ouverte. Toujours est-il que cet aspect de son œuvre fut immédiatement accessible auprès du public, après sa mort. La signature d’M.M.L s’est donc inscrite peu à peu et tout naturellement en terre Bretonne, dans la mouvance de l’École de Pont-Aven, non sans l’aide généreuse et amicale de son ami Claude Huart, peintre et graveur. Quelques uns de ses pastels ou de ses huiles font partie désormais du patrimoine des Musées de Vannes, de Quimper et de Pont-Aven. On trouvera dans le bel ouvrage d’André Cariou, Les peintres de Pont-Aven, Éditions Ouest-France, 1994, une brève présentation de l’artiste.
M.M.L Savin me fit l’amitié de me léguer son œuvre en me confiant le soin de m’en occuper comme je pourrais. Plusieurs expositions, au Pouldu, à Lorient et à Pont-Aven, ont contribué à faire connaître et reconnaître le peintre. Reste à faire redécouvrir l’écrivain, je préférerais dire le poète…!

Michel-Pierre Bachelet

Lien vers la page wikipédia d’MML SAVIN